Mithridatiser (transitif, premier groupe). Immuniser contre l'empoisonnement en absorbant des doses progressives de poison comme le fit, dit-on, Mithridate VI.
En 2001, Philippe Séguin avait employé l'expression à propos, déjà, de Jean Tibéri et des affaires de la Mairie de Paris. Le candidat officiel du RPR se plaignait alors de la résignation indifférente des électeurs aux différents scandales en cours, attitude qui selon lui était due à la lente et longue distillation, tout au long des années 1980 et 90, de tant et tant de frasques politico-financières. L'effet de mithridisation, donc, expliquait selon Philippe Séguin le maintien à flot de Jean Tibéri, malgré les lourdes accusations qui pesaient sur lui.
Il y a, ces derniers mois, un autre effet de mithridisation. C'est celui que, un excès après l'autre, produisent les frasques du Président. Tout est énorme, donc tout finit pas passer, et lasser, sans que l'on parvienne à s'émouvoir à la hauteur requise. Ainsi, l'affaire Pérol.
De la même manière qu'on finit par ne presque plus s'étonner qu'un élu du peuple ait pu fausser les résultats des élections en organisant l'inscription systématique de citoyens bienveillants ou reconnaissantes, on ne parvient plus à s'indigner autant qu'il serait juste de cette énième dérive, vue et racontée comme un épisode supplémentaire du feuilleton, une "séquence" désagréable pour le pouvoir, mais qui finira par passer, très vite. Il se dit que l'opposition, ou plusieurs voix en son sein, voudraient ne pas verser dans l'opposition trop brutale, dans un antisarkozysme qui serait vite vu comme primaire ou désuet. Fort bien. Il se dit aussi que les citoyens sont fatigués du petit jeu politicien, gauche contre droite, droite contre gauche. On comprendrait alors la prudence de l'opposition.
Reste qu'il est utile de se rappeler, et de rappeler, qu'il y a quelques limites qu'en démocratie on ne laisse pas impunément franchir. Qu'il y a des actes, des choix, des dérapages, qui vont trop loin. Sarkozy s'exerce chaque jour à repousser ces limites, joue à savoir jusqu'où il peut aller trop loin. Il teste, comme l'y pousse son caractère d'enfant capricieux maintes fois décrit.
Le rôle de l'opposition est au moins d'ordonner ses colères. De savoir s'emporter sur les sujets qui, plus que tout autre, bousculent le sens même de ce qui nous est commun. De ne pas confondre ce qui relève de choix d'orientations politiques, qu'on peut - et doit - contester mais qui trouvent leur légitimité dans l'élection, de ce qui, précisement, outrepasse cette légitimité et ne constitue qu'un pas de plus dans la dégradation d'une démocratie pluraliste en république à usage personnel.
Faire ce tri est une condition nécessaire à qui veut parler clairement. Et être utile.
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