Ouest-France m'a fait l'honneur l'autre jour de publier le point de vue ci-après, que j'ai rédigé après l'adoption, par le Conseil économique et social régional de Basse-Normandie, d'un rapport favorable à la création d'un "pôle d'excellence régional" dévolu à la promotion du nucléaire.
On n'y retrouvera pas les arguments traditionnels de la critique antinucléaire, qui restent évidemment pertinents sur le fond. Mais ils ont l'inconvénient d'occulter une autre part de la réalité : le nucléaire n'est pas seulement dangereux, il est aussi terriblement coûteux et, au final, inefficace. Quant à l'argument de l'emploi, j'essaie d'expliquer dans ce court texte qu'il est inopérant. Je développerai ce point prochainement, au cours d'une Voix est Libre consacrée au sujet par France 3 Normandie.
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Le Conseil économique et social régional de Basse-Normandie (CESR) a adopté, fin février, un rapport appelant à la création d’un « pôle d’excellence nucléaire » en Basse-Normandie. Constatant les compétences – économiques, industrielles, de formation ou de recherches – implantées sur le territoire bas-normand, leCESR propose de mettre celles-ci davantage en cohérence, et renforcer ainsi le potentiel nucléaire de la région. Argument : tout cela sera positif pour l’emploi, l’économie et l’image de la Basse-Normandie. Reprenons ces quelques points.
Le CESR chiffre à 9 500 les emplois directs liés au nucléaire civil (c’est-à-dire la production d’électricité) dans la région. C’est considérable, et cela justifie, quoiqu’on puisse penser par ailleurs de la technologie – et la position des Verts est connue, qu’on y soit attentifs. Deux remarques tout de même : d’abord, pour rappeler que l’industrie automobile représente 16 000 emplois bas-normands, l’agriculture et l’agro-alimentaire 59 000 et l’artisanat... 90 000 ! Ensuite, un surcroît de dépenses publiques régionales en faveur du nucléaire conforterait-il ces emplois ? Rien de moins sûr. Mais surtout : à effort budgétaire égal, combien d’emplois peuvent-ils être créés en faisant d’autres choix, plus réalistes et moins gourmands que le nucléaire, dont chaque innovation se compte en milliards d’euros ? En misant, par exemple, sur le développement décentralisé des énergies renouvelables et la rénovation énergétique de l’habitat – un chantier pour des milliers d’emplois !
L’impact d’un « pôle d’excellence nucléaire » sur l’économie régionale est, de la même façon, contestable : le nucléaire fait tourner l’économie, mais comme d’autres activités, pour peu qu’on y mette les mêmes moyens que ceux mobilisés, hier et aujourd’hui, pour tel projet pharaonique ou telle centrale ruineuse. C’est l’un des problèmes majeurs du nucléaire : il ne résout pas les problèmes posés par la double crise du pétrole et du climat, et il coûte fabuleusement cher malgré tout. Enfin, en termes d’image, chacun sait que les miracles promis par l’industrie atomique ne constituent pas nécessairement le meilleur des arguments touristiques, ni la meilleure promotion pour les produits agricoles et aquacoles locaux.
L’emprise du nucléaire sur notre région est incontestable. On peut choisir de considérer cette situation comme un point de départ pour aller encore plus loin, et renforcer, faute d’imaginer autre chose, la monoculture et la superspécialisation nucléaire comme seule vocation régionale. On peut aussi se dire qu’il est temps de changer, de rééquilibrer les choses et de montrer que la Basse-Normandie a aussi les compétences, les talents et les savoir-faire pour d’autres projets.