Si c'est désormais la gauche américaine qui fait rêver les citoyens d'Europe, si les gauches européennes ne font plus rêver, c'est peut-être parce qu'elles ont renoncé à faire leur travail.
"Durant ces trente dernières années, la gauche européenne s'interrogeait : que diable faisaient les progressistes américaines ? Où étaient-ils passés ? La question avait e don de rassurer. Car tout allait beaucoup mieux sur le Vieux Continent. Un continent européen qui, lui, avait de "vraies traditions" ouvrières, socialistes, solidement ancrées, contrairement à ce pauvre Nouveau Monde qui n'avait jamais lu Marx jusqu'au bout... (...) Et si l'histoire était plus complexe ?
Car que faisait la gauche américaine durant ces décennies (...) ? Elle tirait les leçons de l'offensive des idées conservatrices. Elle organisait un contexte favorable à l'articulation d'un projet démocrate enfin différent de la copie version allégée du programme républicain. Elle s'attelait progressivement à une tâche titanesque.La force du candidat démocrate aujourd'hui vient de ce long travail de préparation. (...) Qui peut dire ce que serait la crédibilité - la capacité à être cru - du candidat démocrate sans ce patient travail de réflexion, de proposition et de coalition des gauches américaines ?
C'est à la gauche européenne de se poser aujourd'hui la question. Car il est à craindre qu'elle se trouve dans le même état de faiblesse idéologique et programmatique que celui dans lequel se trouvait la gauche américaine des années 1970. (...) Et si les gauches d'Europe s'inspiraient, une fois n'est pas coutume, des Etats-Unis..."
C'est de la sociologue belge Isabelle Ferraras, dans une tribune au Monde du 8 novembre dernier (toujours consultable en archives payantes).
"Une tâche titanesque". Aller plus loin que les seules victoires locales, viser la reconquête du pouvoir d'Etat. Et porter à l'échelle de l'Union les aspirations à la re-régulation, engager le même travail idéologique que celui engagé avant-hier par les conservateurs, hier par la gauche américaine. Refuser la facilité des postures "résistantes", se démettre des langues mortes, enjamber le nouveau monde et faire ce siècle vivable. Aller plus loin que ce qui est à portée de main.
C'est l'histoire d'une génération. Je n'espère qu'une chose : qu'elle soit ma génération, pas celle de mes fils.
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